Au commencement était le verbe ? Non, répondait le Faust de Goethe, au commencement était l’action ! Carnot, Bonaparte ou de Gaulle avaient un verbe performatif parce qu’ils agissaient. Mais le verbe d’aujourd’hui s’écoute parler, ne produit que du verbe et tourne en rond. Ainsi le cahier de route de la nouvelle task force fictionnelle du MinArm : « Mission : imaginer et créer des scénarios futuristes et disruptifs au profit de l’innovation de défense. Orienter les efforts d’innovation du ministère en imaginant des capacités militaires disruptives. » Faut-il disrupter pour innover, ou innover pour disrupter ? Allez savoir !
Des mots, encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots. Prenons le Centre d’Analyse de Prévision et de Stratégie du Quai d’Orsay : dans sa note « Covid-19 – Premières réflexions en vue du jour d’après », il nous apprend que « nous devons nous assurer que nous restons en mesure de peser » car « le monde d’après les crises majeures se prépare pendant la crise, et non à l’issue ». Merci pour le moment. Mais c’est lorsqu’on lit « arsenalisation des interdépendances asymétriques » qu’on mesure toute l’utilité d’avoir fait Sciences Po. Du côté de l’IHEDN c’est à peine mieux puisqu’on peut lire, en conclusion d’une tribune, cette envolée lyrique qui devrait normalement être le propos liminaire d’un texte de propositions : « à l’heure du sharp power ou des conflits hybrides, les croisements dangereux entre menaces humainement déclenchées et catastrophes naturelles, entre menaces civiles et militaires, imposent un aggiornamento profond de la réflexion. » Il serait en effet temps de réfléchir, sauf erreur ces gens sont payés pour ça. Et ne rigolez pas, disait Coluche, c’est avec nos impôts.
Et dans le monde merveilleux des Mary Poppins des écoles de management, que nous prépare-t-on de disruptant pour la rentrée ? INSEAD : « Innovation in the Age of Disruption : a disruptive innovation that ultimately disrupts by offering new attractive alternatives ». Toujours ce prédicat incertain, à moins qu’il ne s’agisse d’une grammaire innovante. Cambridge : « Argue the business case for sustainability by a rich understanding of the impact of current global economic pressures ». Oxford : « Leadership strategies for driving organisational change and preparing for the future and dealing with complexity ». Berkeley : « A strategy to lead business through a sea of massive disruption. Leaders strive to be more proactive in implementing new ideas ». On n’est pas plus avancé.
Et ça tourne comme ça avec huit à dix mots, les mêmes réagencés à l’infini. Imaginez la tête de Napoléon ou Clemenceau lisant ces monceaux d’inepties. Or c’est avec cette boite à outils que nos politiques et nos patrons prétendent nous sortir de la crise mondiale qu’ils ont provoquée. Ça fait peur. Vite, disruptons et reconfinons-nous !
Bonnes vacances innovantes tout de même.
Le Cadet